LA FILLE SUR LE PONT

Pauvre Adèle ! Un mot résume sa courte existence : la poisse. Elle a donc décidé d'en finir, et sur le pont parisien d'où elle veut se jeter, son chemin croise celui de Gabor, un lanceur de couteaux, lui-même au bord de la déprime. Il tente pourtant de la dissuader de sauter, puis, quand elle passe à l'acte, plonge à son tour dans la Seine et la sauve. Il la convainc ensuite de devenir la partenaire de son spectacle : après tout, se suicider ou servir de cible vivante...

Et l'association se révèle fructueuse : ils ont du succès, deviennent nécessaires l'un à l'autre, comme les deux moitiés d'un ticket gagnant, chacun gardant son indépendance, lui avec le mystère de sa vie passée (" Je ne couche jamais avec mes cibles " lui a-t-il dit); elle et son impérieux besoin de tomber dans les bras de tous les beaux garçons qui passent : militaire en permission, serveur de pizzeria, contorsionniste, etc. La chance leur sourit sur tous les plans : puisque Gabor est un joueur impénitent interdit de casinos, Adèle le remplace près des tapis verts tandis qu'ils se communiquent comme par télépathie des combinaisons qui gagnent gros.

Monte-Carlo, les palaces, le festival du cirque, les salles de jeu, puis l'Italie, les cabarets, l'engagement sur un bateau de croisière pour un numéro périlleux, la Roue de la Mort, autant de motifs qui les rapprochent, même si les choses ont évolué entre eux : Gabor lance désormais ses couteaux les yeux bandés. C'est un peu comme s'ils se donnaient l'un à l'autre, le plaisir est là, peut-être même l'amour. Bientôt des problèmes surgissent : il s'est attaché professionnellement et sentimentalement à sa partenaire qui, elle, fait une fugue avec un beau passager grec. Il la remplace par une nouvelle cible, qu'il blesse au premier lancer de couteau. Gabor débarque seul à Istanbul, alors qu'Adèle est abandonnée à Athènes par son compagnon. Ils se parlent toujours à distance et comprennent maintenant qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Artiste déchu, devenu clochard, Gabor pense toujours à sa partenaire, qu'il croit reconnaître un jour dans la foule turque. Au moment où lui aussi, un soir, s'apprête à sauter d'un pont, il entend une voix de femme. Adèle est là, qui le ramène à la réalité et cette fois, c'est elle qui lui sauve la vie.